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La tribune de Corinne Lepage

Comment faire en sorte que le respect des normes en matière de pollution de l’air devienne une obligation ?

publié le 11/03/2020 | par Corinne Lepage

Un récent jugement rendu par le tribunal administratif de Lille ( 9 janvier 2020 Madame Cendrine R), qui est assez proche d’un jugement rendu par le tribunal administratif de Paris quelques mois auparavant, rejette la requête indemnitaire d’une femme du fait de la pollution atmosphérique, tout en reconnaissant que l’État a engagé sa responsabilité en n’exécutant pas les obligations qui étaient les siennes sur la base des articles 13 et 23 de la directive du 21 mai 2008. En ce qui concerne la qualité de l’air, et plus précisément, le dioxyde d’azote cette responsabilité est très limitée.

En effet, malgré la méconnaissance de l’objectif en ce qui concerne les PM2,5 et la concentration d’azote, le tribunal considère qu’il n’y a pas de faute de l’État dans la mesure où l’objectif pour les PM 2,5 est à 2020 et qu’il n’y a pas de délai pour la concentration d’azote. Quant à la violation des articles 2 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui vise le droit à la vie et le droit au respect d’une vie familiale normale, le tribunal considère que l’ensemble des mesures mises en place par le gouvernement français jointes aux risques écologiques inhérents à la vie en ville ne constituent pas une atteinte suffisamment grave au droit de vivre dans un environnement sain pour constituer une faute.

Ainsi, la condamnation de l’État pour faute reste- t -elle purement virtuelle, puisqu’assortie d’aucune condamnation et limitée à un constat de mauvaise qualité de l’air.

Que faudrait- il faire pour que le respect des normes en matière de pollution soit réellement sanctionné et donc contraigne l’État à changer de politique ?

Une part de la solution revient bien entendu au juge. Lorsque le Conseil d’État enjoint à l’État de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air (conseil d’État 12 juillet 2017 association les amis de la terre) et que ce celui-ci ne le fait pas ou tout au moins pas de manière suffisante, jusqu’à ce jour aucune astreinte n’a été prononcée. De même, la Cour de Justice de l’union européenne a condamné ,le 24 octobre 2019, la France pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air. Les textes prévoient une sanction d’au moins 11 millions d’euros et des astreintes journalières d’au moins de 140 000 € par jour jusqu’à ce que les normes de qualité de l’air soient respectées. Mais, la sanction n’est pas prononcée et la Cour de Justice demande à la France de se conformer à l’arrêt dans les meilleurs délais. Il faudra alors un nouveau recours de la commission pour exiger des sanctions pécuniaires pour que celless-ci soit prononcée par la cour de justice. Autrement dit,on reste encore dans le domaine du virtuel : il s’agit d’une condamnation morale plus que juridique puisqu’elle n’est pas sanctionnée par le paiement d’espèces sonnantes et trébuchantes qui seules ferait réfléchir Bercy.

Cette relative inefficacité tient à ce que la responsabilité est celle de l’État, qu’elle n’est même pas financièrement sanctionnée et que par voie de conséquence les individus se sentent totalement libres de prendre les mesures qu’ils souhaitent (ou plutôt en l’espèce de ne pas les prendre) parce qu’ ils savent pertinemment qu’ils ne seront pas sanctionnés. C’est la raison pour laquelle, en raison de la tragédie que constitue la pollution de l’air qui tue près de 50 000 personnes en France par an, Il faut se poser la question de savoir si le délit de mise en danger délibéré d’autrui ne devrait pas être évoqué. Les premières procédures lancées sur ce fondement ont échoué mais elles sont très anciennes et antérieures à la loi sur l’air qui elle-même ne prévoit pas de sanctions pénales. C’est une piste qui pourrait être suivie.

Enfin, la mobilisation à l’égard du coronavirus devrait nous faire réfléchir. Certes, nous sommes en face d’une épidémie dont on ne connaît pas encore l’ampleur mais, le risque mortel paraît, en l’état des connaissances et à cette heure , modeste .Alors, comment expliquer un tels deux poids, deux mesures. Comment admettre que l’on fasse appel au civisme des Français, de manière parfaitement justifiée pour réclamer une barrière individuelle contre cette maladie et qu’aucune mobilisation ne soit lancée contre la pollution de l’air dont le coût sanitaire apparaît en l’état sans commune mesure. Comment expliquer la mobilisation des pouvoirs publics encore une fois parfaitement justifiée à l’égard du coronavirus (même si un manque de naïveté pourrait laisser supposer que la communication massive n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques) et sa faiblesse insigne dans la lutte effective contre la pollution de l’air.

D’ores et déjà, les élections municipales démontrent l’intérêt porté par nos concitoyens à des villes moins polluées , avec des circulations plus douces et plus piétonnes et une action efficace en faveur de l’écologie urbaine.

Espérons que l’épidémie de coronavirus conduira à une remise en cause des politiques de prévention sanitaire et donc des politiques de santé environnementale dont la question de la pollution atmosphérique est un pivot

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